🇫🇷L’Agroécologie : Transition vers des systèmes agricoles durables

Bison Innovation Gate for farms agroecologie
Manel ROUITI
Doctor of Agricultural Sciences, Consultant and trainer in agroecology

Résumé

L’utilisation des intrants (engrais chimiques, produits phytosanitaires) permet de développer la productivité agricole et de maximiser les performances économiques, mais en contrepartie favorise la pollution environnementale et peut affecter la santé humaine et animale.

Aujourd’hui, la réduction de ces effets néfastes et la préservation de l’environnement deviennent une préoccupation majeure dans le monde entier.

La transition vers une agriculture durable est devenue une demande socio-économique à l’échelle mondiale et nationale. L’encouragement et l’appui du système d’agroécologie devient une stratégie nationale.

Mots clés : Intrants – productivité agricole- pollution – agriculture durable – agroécologie

Introduction

Le système agricole et alimentaire actuel démontre chaque jour son incapacité à nourrir adéquatement la population dans le monde entier, ce système devient incapable de maintenir la sécurité alimentaire mondiale surtout face à la forte demande alimentaire en raison de la croissance démographique, le changement du régime alimentaire et le changement climatique.

En Tunisie le secteur agricole demeure d’une grande importance économique et sociopolitique du fait de sa contribution à la réalisation des objectifs nationaux en matière de sécurité alimentaire, de création des revenus d’emplois, d’équilibre régional et de la gestion des ressources naturelles, mais le développement de l’agriculture tunisienne se heurte à un nombre des contraintes structurelles. En effet, le modèle agronomique rencontre des contraintes de la stabilité de production surtout avec le changement climatique et la longue période de sécheresse. La pression sur les ressources naturelles en particulier l’eau et le sol devient jour après jour importante ce qui entraine une dégradation de la résilience de l’écosystème.

En somme que l’agriculture en Tunisie souffre des faiblesses et des et des menaces liées aux aspects écologiques, nous citons à titre d’exemple, la pression exercée sur les périmètres irrigués qui résulte principalement de la faible valorisation des eaux pluviales. En effet, les superficies irrigables sont de l’ordre de 410.000 ha, soit 8% de la surface agricole utile. L’irrigation semi-intensive et les pendages de crue constitue constituent un potentiel estimé à 150.00ha (MARH,2016). Cette situation a engendré une utilisation intensive et une surexploitation des nappes phréatiques.

De même, la Tunisie est en phase d’une dégradation importante du sol suite à deux sortes de dangers : le premier résulte des facteurs naturels (érosion, salinité de sol.), le second danger provenant de développement démographique et de phénomène de l’urbanisme

La crise mondiale, les changements climatiques et les défis du secteur agricole exigent l’orientation vers un système agricole durable qui mis en valeur le capital humain et la bonne gestion des ressources naturelles.

La transition de l’agriculture conventionnelle à l’agroécologie

L’agriculture conventionnelle permet d’augmenter considérablement la production agricole, le recours à ce système agricole permet au producteur d’améliorer ses revenus vu la croissance progressive de rendement.

Malgré sa haute production et son rendement important, l’agriculture conventionnelle a connu nombreuses critiques autant environnementales (appauvrissement des sols, chute de la biodiversité à cause des intrants et de monoculture, pollution de la nappe hydrique et du sol.) que sociales (dépendance des producteurs vis-à-vis de l’industrie chimique de vente des engrais et des produits phytosanitaires) , la communauté scientifique internationale s’étend pour dire qu’elle a des impacts négatifs importants sur les écosystèmes , les ressources naturelles et la biodiversité.

La transition du modèle d’agriculture conventionnelle à un modèle d’agriculture durable fondé sur la fonctionnalité naturelle demande des efforts, il est nécessaire de rassembler le savoir des agriculteurs, la science et la technologie, il est nécessaire également de préparer un environnement en amont qui respecte la nouvelle orientation d’où la naissance de l’approche d’agroécologie.

L’agroécologie est une approche intégrée qui applique concomitamment des notions et des principes écologiques et sociaux à la conception et à la gestion des systèmes alimentaires et agricoles. Elle vise à optimiser les interactions entre les végétaux, les animaux, les humains et l’environnement, sans oublier les aspects sociaux dont il convient de tenir compte pour qu’un système alimentaire soit durable et équitable (FAO,2018).

L’agroécologie est également un mode d’agriculture a capital humain, qui intervient principalement dans la justice sociale des paysans et des petits agriculteurs. En effet, le premier colloque international de l’agroécologie à Albi France en 2008, défendrait cette valeur de justice sociale.

En Tunisie, la répartition des zones agroécologiques dépend du climat. En effet, la Tunisie est caractérisée principalement par un climat méditerranéen au nord, étés secs et chauds et des hivers frais et humides sur le côté Est, climat semi-aride à l’intérieur du pays et saharien au sud. La variété climatique permet une production très variée (Tableau1)

Tableau 1 Agroécologie

L’agroécologie : Objectifs, Principes et Pratiques

1. Objectifs

L’agroécologie permet de développer une activité agricole moins polluante et respectueuse de l’environnement et de préserver les différentes ressources naturelles (eau, sol, énergie …).

Elle favorise aussi l’harmonisation optimale entre culture et élevage ce qui permet de développer la biodiversité d’une part et de renforcer le système alimentaire locale d’autre part.

L’agroécologie a pour objectif aussi de renforcer le lien producteur- consommateur à travers la vente directe des produits agricoles dans des circuits de commercialisation courtes.

2. Principes

L’agroécologie repose sur 10 éléments principaux , qui visent à appuyer les pays de monde entier à transformer leurs système alimentaire et agricole afin d’atteindre les objectifs de développement durable (FAO, 2018)

La diversité :

La diversité est un pilier important de l’agroécologie, elle permet d’améliorer la sécurité alimentaire en protégeant les ressources naturelles. La diversité dans l’agroécologie renferme plusieurs modèles tels que, la diversité verticale qui caractérise l’agroforesterie et regroupe les cultures, les arbustes, les arbres et les animaux d’élevage. La diversité spatiale qu’elle est caractérisée principalement par des cultures intercalaires associe des espèces complémentaires afind’augmenter la biodiversité. La diversité temporelle, ce type de diversité est renforcé par la rotation des cultures qui permet de diversifier les cultures au fil de temps ce qui permet le maintien de la sécurité alimentaire.

La biodiversité joue un rôle majeur dans la mise en œuvre des processus écologiques au sein des agrosystèmes. Elle renferme des avantages sur le plan de la production, la nutrition, l’environnement et la situation socio-économique. Des recherches ont montré que la production végétale est plus productive lorsqu’elles sont plus diversifiées en terme d’espèces.

Co-création et partage des connaissances

L’agroécologie est une approche intégrée qui associe les savoirs traditionnels des producteurs et les connaissances scientifiques. Cette approche est basée sur un processus participatif et de partage des connaissances qui permettent une meilleure diffusion des pratiques agroécologiques produisant ainsi un axe durable pour le concept d’agroécologie.

La Co-création et le partage des connaissances s’inscrit dans le contexte ou les producteurs locaux et les scientifiques se mobilisent pour emmener les décideurs politiques à s’engager dans la transition vers le système agroécologique.

Synergie

Consiste à la création d’un lien entre les différentes composantes du système agroécologique (eau- sol-arbres- animaux d’élevage…). Cette synergie entre les différents éléments du système agroécologique permet une bonne gestion des ressources naturelles, par exemple : l’utilisation des fumiers des animaux dans la fertilisation du sol.

La synergie entre les différentes composantes du système agroécologique permet de garantir la sécurité alimentaire et l’équilibre de l’écosystème.

Efficience

Les pratiques de système agroécologique permettent la bonne utilisation des ressources naturelles et la valorisation des ressources gratuites et abondantes (énergie renouvelables, azote…) en renforçant le processus biologique et réduit l’utilisation des ressources externes ce qui aboutit à minimiser les effets négatifs sur l’environnement et renforcer l’autonomie des producteurs.

Recyclage

C’est un phénomène qui permet de donner une 2ème vie à un produit. Le recyclage permet la diminution de l’utilisation des ressources externes et augmenter l’autonomie des producteurs.

Parmi les avantages de recyclage nous citons :

  • Indépendance à l’égard des ressources externes

  • Boucler les cycles et réduire le gaspillage

  • Protéger l’environnement et minimiser les coûts d’utilisation des ressources externes

    Résilience

    Les systèmes agroécologiques sont plus résilient par leur résistance à des situations climatiques extrêmes (sécheresse, inondation…). La diversité de système de production et la gestion de son synergie et le recyclage favorisent la résilience de système face aux changements climatiques et la perturbation socio-économique.

    L’agroécologie permet l’amélioration de la résilience socio-économique grâce à la diversification et le renforcement des producteurs en réduisant leurs dépendances à l’égard des intrants externes et leur vulnérabilité face aux risques économiques.

    Valeurs humaines et sociales

    Dans le secteur agricole, la main d’œuvre joue un rôle vital dans la sécurité alimentaire et la santé malgré cela, elle demeure marginalisée au plan économique et exposée à l’exposée à des violations de leur droits (FAO,2018). L’intégration de l’approche agroécologique aide à valoriser le capital humain spécifiquement les femmes rurales opérantes dans le secteur agricole.

    L’agroécologie joue un rôle primordial dans l’équité, la dignité et le bien-être social ce qui contribue aux objectifs de développement durable (ODD). En effet, l’approche d’agroécologie donne aux paysans, aux producteurs et à la population locale, les moyens de surmonté la pauvreté, la malnutrition, la dépendance aux intrants externes tout en favorisant le droit de l’homme à l’alimentation et l’accès maitrisé aux ressources naturelles

Culture et transitions alimentaires

L’agroécologie favorise le régime alimentaire sain et contribue à la sécurité alimentaire. En effet, l’alimentation est un pilier de patrimoine humain. L’agroécologie a pour objectifs de sauvegarder le patrimoine culinaire et maintenir la sécurité alimentaire.

Gouvernance responsable

L’agroécologie est basée sur des mécanismes de gouvernance responsables à différentes échelles (local, national, mondial).

La gouvernance responsable facilite la transition vers des systèmes alimentaires et agricoles durables (FAO,2018). Cette gouvernance doit être transparente et accessible pour faciliter les liens avec les producteurs et mettre une transition dans les meilleures conditions.

Les mécanismes de la gouvernance responsable permettent la création d’un environnement porteur qui aide les producteurs et les paysans à transformer leurs systèmes.

Economie circulaire et solidaire

L’agroécologie vise à créer des circuits courts entre les producteurs et les consommateurs grâce à une économie circulaire et solidaire qui renforce le développement du marché local et par conséquent le développement socio-économique. L’économie circulaire et solidaire permet de rétablir le lien entre les producteurs et les consommateurs, ce lien est important pour favoriser les circuits locaux et solidaires.

3. Pratiques d’agroécologie

Les bonnes techniques d’agroécologie sont des outils pratiques qui permettent d’améliorer la durabilité dans l’agriculture. Elles constituent un ensemble des règles à respecter dans l’implantation et la conduite des culture ou d’élevage de façon à optimiser la production agricole, tout en réduisant les risques liés à ces pratiques tant vis-à-vis l’homme (volet social et économique) que vis-à-vis de l’environnement (volet écologique).

Le système d’agroécologie repose sur un ensemble des pratiques agricoles qu’ils ont un impact important sur la préservation de l’agrosystème. Parmi ces pratiques nous citons :

Le travail de sol

Le sol est le cœur de l’agroécologie, sa productivité est déterminer principalement par sa composition (sable, limon et argile), le drainage et son teneur en matière organique et éléments nutritifs ainsi que par l’activité microbiologique.

Le travail de sol influe sur l’activité des micro-organismes. En effet, la population bactérienne se développe par l’aération et l’humidité optimale dans les sols sous labour. En effet, un sol travaillé superficiellement offre une bonne fertilité, une réduction de l’érosion et de ruissellement.

L’agroécologie privilège généralement un travail minimal du sol qui exige la minimisation de l’utilisation des machines. Le passage à des techniques de réduction de travail des sols et à l’intégration des pratiques de diversification permet de mieux conserver la structure, la stabilité et la dynamique microbiologique des sols. En effet, le travail minimal du sol n’inverse pas les couches pédologiques et la proportion de la matière organique augmente par la conservation des résidus de culture au sol ce qui favorise la fertilisation du sol. Les propriétés physico-chimiques et hydrologiques du sol sont alors améliorées ce qui permet la fertilité de sol. Dans les sols soumis au travail minimal, le nombre des micro-organismes augmente en surface (0 –10 cm) et diminue en profondeur (10- 20 cm).

Le labour de sol demande beaucoup d’énergie (consommation de carburant) et de temps tandis que le travail minimal diminue cette demande, et par conséquent une diminution de l’émission de CO2 et de la pollution de l’air.

La fertilité du sol désigne sa capacité à produire durablement des récoltes de qualité. Un sol fertile conduit à des interactions complexes entre la fertilité physique (structure et agrégats), chimique (acidité, teneur en éléments nutritifs) et biologique (matière organique et micro-organismes).

En agroécologie, la fertilisation du sol exige l’utilisation des engrais organiques (fumier – engrais vert – compost).

Le recyclage et la valorisation des déchets organiques dans la fertilisation du sol permet de minimiser le coût des intrants d’une part et de réduire la contamination des eaux par le déchet des animaux d’autre part.

La rotation des cultures

La rotation des cultures est une technique qui consiste à alterner des cultures différentes (céréales, légumineuses, oléagineux …) sur une même parcelle. Cette planification des cultures peut se dérouler sur une année mais généralement sur plusieurs années, elle est basée sur l’alternation d’une culture amélioratrice (ex : légumineuses) et une culture appauvrissante (ex : céréales) qui peuvent être séparer par une culture intercalaire.

La rotation des cultures exige que toute parcelle soit couverte par trois cultures différentes sur trois ans, incluant notamment des plantes fixatrices de l’azote atmosphérique.

La rotation des cultures permet de profiter des mécanismes naturels pour limiter les travaux culturaux et les charges des intrants de synthèse.

Parmi les avantages de la rotation des cultures, nous citons, la fertilisation du sol et l’augmentation de la teneur en éléments nutritifs dans le sol et par conséquent l’augmentation de la productivité. La rotation des cultures permet également la minimisation des ravageurs, des maladies ce qui conduit à une réduction importante d’utilisation des intrants

Association des cultures

L’association des cultures est une technique qui consiste à la cultivation de deux cultures ou plus sur une même parcelle et l’utilisation des même ressources (éléments nutritifs – eau – air …).

L’association des cultures différentes sur la même parcelle permet de valoriser les ressources naturelles et régulier les facteurs biotiques.

Parmi les fonctions particulières de l’association des cultures est celle d’intercaler des cultures « attirantes » pour la lutte biologique contre les ravageurs et par conséquent préserver la culture principale. De même, la concurrence et la complémentarité entre les cultures associées soutiennent les cycles des éléments nutritifs dans le sol et permettent le maintien de la structure et de la fertilité du sol ainsi que la résistance contre les ravageurs, les maladies et les mauvaises herbes.

Il existe 3 catégories d’association des cultures :

  • Association mixte : cette technique est basée sur l’association des arbres avec des cultures maraichères (exemple l’association des palmiers et des cultures maraichères au sein des oasis)

  • Association permanganate : ce type d’association se caractérise par un cycle de production simultané de deux cultures (exemple : Tomate et piment)

  • Association temporaire : ce type est basé sur l’association de deux cultures ou plus qu’elles n’ont pas le même cycle de production (exemple : laitue – tomate)

    Cette technique permet de :

  • Renforcer la diversité des cultures et sécuriser les revenus

  • Optimiser l’utilisation de l’espace

  • Protéger le sol et les cultures en limitant le recours aux intrants de synthèse

  • –  Améliorer la production en qualité et en quantité

    L’agroécologie est une approche intégrée qui regroupe plusieurs avantages sur le plan social, environnemental et économique mais comme tous système possède des limites et des inconvénients sur tous les plans environnemental, social et économique (Tableau 2)

Tableau 2 : Avantages et inconvénients des pratiques agroécologiques

Conclusion générale

Pour réussir la mise en place d’un système agroécologique et atteindre les objectifs fixés, il est nécessaire d’associer des savoirs – faire des producteurs locaux et des connaissances scientifiques innovantes dans les différents domaines de recherche (agriculture, écologie, sociologie, économie.). Dans ce contexte, la transition vers les techniques agroécologiques peut être considérer comme innovation sur le plan agronomique, social et académique.

Aujourd’hui, l’adoption des techniques agroècologiques ne cesse pas de se développer sur différents plans et à différentes échelles dans le monde entier en s’appuyant sur plusieurs organismes (FAO, ONG, associations…) avec la collaboration des institutions publiques.

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